Au départ…
…il y a le constat suivant : notre consommation et nos utilisations d’objets numériques, électriques et électroniques ont un impact écologique grandissant.
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à nos objets numériques ont considérablement augmenté entre 1990 et 2020.
Avons-nous besoin d’objets numériques, électriques et électroniques ? Nous partons du postulat que oui, certaines machines (dispositifs qui utilisent l’énergie pour produire un travail) permettent le développement humain : donc comment concevoir ces machines de façon plus résiliente, durable ? Dans l’industrie numérique, la nouveauté est vue comme une condition de la réussite économique de l’entreprise, et équivaut à fabriquer de nouveaux objets, donc à consommer des ressources, généralement non renouvelables. Est-ce que l’on peut essayer de déconstruire ça ?
L’objectif final de notre action est de participer à réduire l’extraction de matières fossiles et l’émission de GES. Quels sont les endroits de la filière des objets électriques et électroniques où notre action de design pourrait être pertinente, réplicable ?
État de l’art
Il y a quatre grands types d’impacts liés au numérique :
- l’extraction de ressources fossiles (terres rares)
- la fabrication des objets (appuyée sur des moyens techniques énergivores et centralisés)
- l’utilisation des objets (avec le stockage et transfert des données nécessitant des infrastructures)
- et la fin de vie des objets, devenus déchets.
En 2018, l’industrie du numérique a produit autour de 50 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). En France, environ 50 % sont collectés. Parmi ces DEEE collectés, plus de 90 % sont des DEEE ménagers — nos déchets — et 10% des DEEE professionnels. En plus de leur volume gigantesque, les déchets ménagers posent un gros problème d’hétérogénéité : on ne sait pas ce qu’il y a dans la benne, on ne sait pas avec précision ce qui est envoyé au recyclage. Tous les DEEE ‘recyclés’ sont en fait broyés — et traités à la tonne. Les objets de plus en plus miniaturisés, et composés d’éléments de plus en plus variés, rendent le recyclage de matières de plus en plus difficile.
Leur démantèlement est aujourd’hui très marginal, rien qui permette de réinjecter des éléments dans une production, même petite. Nous nous disons qu’il y a des choses à faire à ce niveau là.
L’essence et les objectifs
Pour changer le mode de conception des objets, pour aller vers la frugalité énergétique, le design a des outils : capacité à concevoir des systèmes, des objets, des innovations, à partir de contraintes — à partir d’éléments réutilisés, par exemple.
Aujourd’hui, la filière de traitement des déchets EEE est structurée de sorte que la plupart sont broyés pour tenter d’en récupérer les matériaux (plastiques, métaux,…). On peut parler de “downcycling” car un objet recyclé de cette façon ne peut en aucun cas servir à fabriquer un nouvel objet équivalent en terme d’usages — ou alors avec un coût écologique problématique, comme pour l’extraction de l’or et l’argent.
Les objets jetés sont considérés inutilisables, obsolètes, bien que la plupart des éléments qu’ils contiennent fonctionnent encore. En recyclant, on détruit des éléments de haute technicité… Si on envisage de les démanteler plutôt que de les broyer, les DEEE constituent une ressource ‘déjà là’.
Nous nous attachons donc à la *réutilisation* d’éléments initialement destinés au recyclage.
Les solutions que l’on trouvera seront nécessairement locales, il faut qu’elles puissent être répliquées, et à ce sens doivent être développées en OpenSource.
L’agence a pris le parti d’appliquer sa démarche de design à la globalité du projet.
Nous l’abordons à travers les notions d’usage, de process, d’organisation ou de service, mais selon un axe de réflexion précis : comment réutiliser les éléments (composants et sous-ensembles) encore fonctionnels des DEEE ?
Nous visons une action réplicable, une échelle semi industrielle.
Actions de collaboration
Comment récolter ces éléments ?
Au sein de cette filière complexe, nous ne pouvons pas travailler linéairement : nous nourrissons nos réflexions à travers des échanges, en mutualisant nos recherches et en expérimentant de nouvelles pistes.
Nos études terrains nous ont permis d’identifier des pistes de gisement. Entre une entreprise qui collecte les DEEE ménagers (Emmaüs, Réseau Envie…) et un spécialiste des DEEE professionnels (Nodixia, APF, …) les enjeux, moyens et objectifs ne sont pas les mêmes : l’une va collecter des déchets hétéroclites qui répondront à beaucoup d’usages, l’autre va se concentrer sur la collecte de quantités importantes d’un même modèle.
Nous collaborons également avec la Kedge Design School de Marseille et le Laboratoire Projekt de l’Université de Nîmes : en équipe avec Marie-Julie Catoir-Brisson et Susana Paixão-Barradas, nous élaborons des ateliers où les étudiant·e·s sont invité·e·s à imaginer de nouvelles modalités de conception et de pratiques du design low tech.
Actions de conception
Enfin, en tant qu’agence de design, nous exprimons nos pistes à travers des projets concrets, des objets manifestes qui visent à faire la preuve des hypothèses de conception que nous avons décrit en amont, et à incarner et promouvoir le projet dans son ensemble.
1/3 – Récolter
Nous partons du concret : nous récupérons constamment des appareils EEE, et nous les démontons afin de les documenter. Les constats de ce démantèlement : ±80 % des appareils récupérés sont fonctionnels. Et ±95% des éléments extraits sont fonctionnels. Pour de nombreuses typologies d’objets, même si les modèles sont hétérogènes, les éléments qu’ils contiennent sont standards. Une indexation et une réutilisation sont donc possibles.
2/3 – Réutiliser
Notre second axe de travail est l’exploration de pistes de réutilisation des éléments issus des DEEE.
Avec la condition de la réutilisation de composants, le design doit inventer une nouvelle esthétique pour les équipements DEEE, basée sur une architecture produit modulable, évolutive. Il s’agit d’inventer le langage formel de ces néo-objets de l’ère anthropocène — chaque objet sera différent, mais s’appuiera sur la même base technique.
L’enjeu est de concevoir des objets réplicables, de mener des projets de réutilisation industrialisables. Cela pourrait s’appuyer sur la FabUnit, un atelier de fabrication de moyennes séries de produits principalement destinés au local et basés sur un modèle d’économie circulaire, auquel l’agence est associée.
3/3 – Réinjecter
Le troisième axe porte sur l’identification et la mise à disposition des éléments issus des DEEE : qu’est ce qui va donner accès à un flux volumineux de pièces ?
Nous nous inspirons de systèmes mis en place dans d’autres secteurs : chaîne de démontage pour l’automobile (GPA), plateformes de récupération de matériaux de construction (R-Place, CycleUp, RotorDC).
Nous nous sommes notamment rapprochés du groupement AXED, monté par un réseau de ressourceries, qui se fédèrent pour mettre en place un atelier de réparation. Nous proposons de travailler sur les éléments qu’ils ne réparent pas : un tel partenariat permet de profiter d’une convention avec les éco-organismes, et de s’appuyer sur une équipe technique pour travailler en parallèle sur le démantèlement et le stockage de pièces. À la suite des ateliers de réparation, on peut envisager de mettre en place une activité de démantèlement, puis d’indexation.
Nous avons travaillé sur une interface numérique pour publier les éléments au sein d’un réseau de pros ou de particuliers. À court terme, l’enjeu est de partager un stock commun, et de fournir les circuits de fabricants qui seraient intéressés par des éléments réutilisés. À long terme, il s’agirait d’établir des partenariats de recherche pour passer à plus grande échelle (traitement d’image automatique, robotique…), et de recouper les infos avec les fiches techniques, indexer automatiquement les éléments avec la reconnaissance d’image…