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Vers des usages dégradés désirables : nouveaux imaginaires du design d’interaction

2 juin 2022

En 2021, Sophie Fétro invitait la communauté de la recherche en design à contribuer à la revue en ligne Design, Arts, Médias pour un numéro traitant du Design du peu et des pratiques ordinaires. Marie-Julie Catoir-Brisson nous propose alors d’écrire un article à quatre mains… Prendre le temps de développer une réflexion sur nos pratiques concrètes ? Allons-y ! C’est un autre format, un rythme différent de celui dont nous avons l’habitude. Cela nous a poussé à mettre les mots sur ce que nous faisons empiriquement, sur les moyens que les designers emploient pour rendre des objets désirables.

Nos actions de recherche irriguent nos projets de commande

Nos clients attendent généralement de notre agence un développement opérationnel de leurs projets… Mais nos réponses se nourrissent souvent de notre action de recherche, qui nous amène à explorer des alternatives, des techniques, des systèmes que nous tentons de porter jusqu’à l’émergence de projets concrets.

C’est également dans cette optique d’exploration que depuis 2016, nous animons avec Marie-Julie des ateliers à l’Université de Nîmes. Au carrefour de l’upcycling, du design numérique et du design fiction, les étudiant·e·s réfléchissent à la manière de faire évoluer les métiers et pratiques du design — et nous travaillons par exemple avec elles.·eux à la conception de nouveaux objets issus de nos déchets d’équipements électriques et électroniques.

entreautre design produit cafetière DEEE

Usages dégradés, imaginaires alternatifs et nouveau désir

À travers l’expérience d’écriture de cet article, nous avons cherché à comprendre dans quelle mesure les contraintes de sobriété et de réutilisation, appliquées aux objets numériques électroniques, donnaient lieu à des usages dégradés : les objets ne sont plus considérés dans un état parfait, celui promu par la majorité des acteurs de l’industrie actuelle (concepteurs, designers, industriels, revendeurs, publicitaires, etc.). Ces objets ne proposent a priori pas le même confort que des objets neufs : ils peuvent être usés au plan esthétique et ils ont éventuellement perdu des fonctions.

Mais dans une certaine mesure, ces usages dégradés peuvent rendre les objets créés désirables : pour le montrer nous nous sommes appuyés sur un corpus montrant la diversité des projets contemporains qui se développent dans une optique de sobriété numérique. Certains projets sont expérimentaux, comme ceux de Tom Hebrard, du Studio FormaFantasma, de Kodjo Afate Gnikou, de Neil Lambeth… ou notre projet Désirer ce qui est jeté. D’autres sont plus opérationnels, voire industriels, comme Fairphone, Mudita, Lightphone ou même ARA… Davantage que l’imprécis terme ‘low-tech’, les concepts de contre-faire numérique (Laurence Allard), et de numériques situés (Nicolas Nova et Gauthier Roussilhe) semblent les plus opératoires pour analyser ce corpus.

Les étudiant·e·s suivi·e·s à Nîmes en 2020 ont aussi mené des projets illustrant avec conviction les enjeux et les contraintes créatives qui s’offrent au designer confronté à la problématique de la réutilisation. Certain·e·s proposent ainsi des formes qui assument leurs spécificités (hétérogénéité, traces de fabrication, etc.) et nourrissent l’esthétique de ces néo-objets (projet StopWatch). D’autres vont jusqu’à rendre visibles et réparables les composants issus de la réutilisation, conduisant ainsi les usagers à être plus autonomes (projet MakerPod).

Sarra Badi, Selen Canales-Vasquez, Oussama Fatmi, Joseph Mbetiyanga



Dans certains cas, la transformation de la relation aux objets et services numériques va encore plus loin, puisque certaines fonctionnalités ont été abandonnées, engendrant alors des usages dégradés assumés par les concepteurs. Mais d’autres usages ont aussi été développés, pour apprendre ou simplement pour échanger autrement : cela ouvre potentiellement à une montée en compétence technique et sociale, à une reconquête de l’autonomie (projet Streamix). Ces choix de design soulèvent la question de l’acceptabilité d’objets et services numériques de moindre confort… et ouvrant la voie à des imaginaires alternatifs de la conception — en réaction à une vision du monde technique hégémonique, incarnée par le développement des objets connectés, de l’informatique ubiquitaire et du transhumanisme.

Claire-Marie Bachelez, Victoire Bruna, Jeannette Guerin, Anissa Sahli




Merci !

Cet article a été présenté le 12 novembre 2021, lors d’une journée d’étude organisée dans le cadre du lancement du n° 3 de la revue Design, Arts, Médias, soutenue par l’Institut ACTE-Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : une journée édifiante autour du design du peu — portée par les membres de la communauté de la recherche en art et en design.
Merci à Sophie Fétro pour son invitation à partager, et à Chloé Bappel, Andrea Pastorello, Christian Malaurie, Wafa Abida, Camille Bosqué, Judith Michalet, Margaux Moussinet, Jérémie Elalouf pour la qualité de leurs interventions.

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